Avis d’Environnement 92 sur le projet de construction d’un ensemble immobilier sur la partie centrale de l’île Seguin situé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)

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Seguin Rives de Seine

L’association Environnement 92, créée en 1991, fédère 45 associations de protection de l’environnement des Hauts de Seine. Environnement 92 est agrée pour la protection de l’environnement et habilitée au dialogue environnemental. Elle est affiliée à France Nature Environnement Île de France.

En remarque préalable,

  • Nous regrettons que l’enquête se déroule du 15 juillet au 2 septembre en pleine période estivale où les habitants de Boulogne-Billancourt et de Meudon sont souvent absents. Par ailleurs, le dossier comporte quelques 400 pièces dont certaines avoisinent 200 pages ! Quel citoyen peut trouver l’énergie pour consulter (internet ou papier) ce dossier et le comprendre ! On peut se demander si les services techniques qui instruisent la demande de permis de construire (dépôt du 12 février 2020) ont pu venir à bout de ce dossier. Une présentation synthétique et pédagogique allégée est indispensable pour rendre à l’enquête publique sa vertu démocratique pour le plus grand nombre.
  • Un sérieux doute existe quant à la pertinence de cette enquête publique elle-même. Nous nous demandons si les pièces du permis de construire font partie du dossier d’enquête publique, sauf si le calendrier effectif de construction du projet immobilier est imminent et si les jeux sont déjà faits !
  • La concomitance avec 2 autres enquêtes publiques estivales rend l’affaire encore plus obscure car les aspects “études d’impact” des 3 enquêtes sont parfois contradictoires.

L’examen du dossier du point de vue environnemental conduit aux remarques suivantes :

Le projet immobilier

La première impression est la massivité du projet avec un mur immense qui va obturer toutes les vues. Si l’on considère que les deux permis de construire de 123 000 m2 de bureaux et 6500 m2 de commerces dont une tour de 16 étages sur la partie centrale de l’ile Seguin s’ajoutent aux 61 000 m² de bureaux sur l’ilot D5 avec trois tours de près de 20 étages, nous sommes en face d’un projet d’urbanisation massive. Le projet complet de l’Ile bâtie avec 230 000 m² aussi compacte dépasse la masse de l’usine Renault d’avant 1992. « Le respect du caractère spécifique de l’ile » dont Il nous est rebattu les lignes de ce document fleuve, est bafoué. C’est un alignement de bureaux blancs dont on ne connaît même pas la destination, alors que l’ile devait être consacrée aux arts, ou tout au moins à la culture. Ni inventivité, ni originalité, ni respect du caractère insulaire, ni respect du paysage encensé comme exceptionnelle boucle de la Seine entre la plaine de Billancourt et les coteaux boisés de Meudon. Généralement ce projet relève plus de la spéculation financière avec une construction de bureaux dans une période où ce marché rencontre de réelles difficultés, et où le télétravail a un avenir certain. Le cas des immeubles de Meudon Campus à proximité est édifiant : 3 immeubles sur cinq seulement sont actuellement occupés. Il est clair que la politique de défiscalisation (ou d’aide directe) pour attirer les entreprises a des limites d’autant que leur pérennité sur le site n’est pas garantie au terme de la période de défiscalisation. Nous avons vu cela avec SFR sur Meudon Campus…cette entreprise a fait le tour de Paris en se déplaçant tous les 5 ans.

Le projet de construction de 6 immeubles (R+7) dont un Immeuble de grande hauteur (R+13) va être construit avec la norme RT 2012, soit 100 KWh/m2/an, alors que celle de 2020 (RT2020) pourrait s’appliquer. Selon l’institut allemand d’urbanisme, les erreurs des thermiciens oscillent entre 50 et 100% et on peut redouter que le bâtiment de 60 m (R+13) ne répondra pas aux enjeux de rénovation thermique préconisés par la commission européenne. Où est la modernité de ce projet devant les enjeux climatiques ?

Ce projet qui comprend 95% de bureaux et 5% de commerces, donc à l’exclusion de tout logement ou services, donne l’impression d’une forte urbanisation à l’image des rives côté RD1 et RD7 près du Pont de Sèvres. Enfin l’espace de loisirs de 500 m2 n’est pas décrit ce qui laisse supposer que d’autres constructions peuvent survenir alors que l’ile manque cruellement d’espaces verts.
Au total, le projet immobilier apparaît comme un simple produit d’urbanisme de promoteurs.

Espaces de Nature

Les questions de l’urbanisme et des espaces de nature sont particulièrement sensibles à Boulogne Billancourt qui, avec moins de 5m2 par habitant d’espace vert public, est l’une des 21 villes carencées du département. En effet, l’OMS recommande un minimum de 10 m2 d’espaces verts publics par habitant, recommandation reprise dans le Plan Vert de la région Ile de France de 2017. Il est regrettable que le projet immobilier sur la partie centrale de l’île Seguin ne permette que de créer un jardin public limité à 15 000m2, ce qui n’améliorera pas vraiment la situation de carence de la commune. Le verdissement des bâtiments n’est qu’un pis-aller (green-washing) devant le manque d’espaces de nature en pleine terre capable d’accueillir des arbres de haute tige et de fournir la capacité de rafraîchissement indispensable en cas de canicule. Les arbres prévus seront de jeunes pousses à la fin de la construction et ne gommeront pas avant au moins 40 ans l’impression (fausse) paysagère fournie dans le dossier.

S’agissant de l’analyse paysagère menée par la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE), nous sommes en accord avec ses remarques critiques sur les perceptions du projet depuis les berges, les quais et depuis l’eau, l’aménagement du jardin public, les différents niveaux altimétriques du projet et un plan précis des différentes circulations (véhicules, piétons, personnes à mobilité réduite (PMR), les plantations (typologies et choix des essences, nombre et localisation des plantations), le besoin d’une meilleure prise en compte du caractère insulaire du site (voir page 19 du rapport du MRAE). Les réponses fournies par le maitre d’ouvrage et l’aménageur sont très superficielles et peu crédibles ; par exemple, le projet de planter 400 arbres de haute tige dans différentes parties (jardin public, voies publiques et berge nord) est incompatible avec la profondeur de terre prévue. Soit cette profondeur de terre est limitée à 2m de terre sur le jardin public, soit elle n’est pas précisée. Enfin il n’y a aucun commentaire sur la qualité de la terre (il ne suffit pas de s’assurer que le sol soit dépollué). En conséquence, on ne peut pas espérer un développement pérenne d’arbres de haute tige, comme le laisse espérer les dessins d’architecte. Le volet biodiversité n’est pas traité sérieusement, à part la présence d’une “collection de peupliers et de saules”, de “végétation foisonnante” ou “une palette végétale inspirée des essences localement présentes”. La question de la gestion des eaux pluviales est limitée à des noues en pied de bâtiments donnant sur le jardin public, et à des bandes drainantes vers un bassin. On peut douter de l’efficacité du dispositif alors que les périodes de canicule et de sècheresse vont se multiplier. La dépendance inéluctable à l’arrosage va rendre la survie des arbres et végétaux, incertaine. On redoute que la verdure de ce couloir de jardin public ne soit aussi sec que le crâne chauve de la « Seine Musicale ».

Circulation de l’air, pollutions :
Les circulations de l’air, courants d’air, évacuation des pollutions (NO², microparticules, ozone etc…) ne sont pas étudiées de façon convaincante. Les passages entre les immeubles permettront une vue partielle sur la verdure de Meudon, mais quid des courants d’air, effets Venturi etc. Comment les pollutions générées par la RD1, la cheminée d’aération de la ligne 15, les sorties de parkings seront-elles évacuées rapidement derrière ces immeubles emmurant les Boulonnais ?

Les transports, les déplacements et les conditions de circulation
La question de la circulation ne peut pas être traitée seulement sur la partie centrale de l’ile alors qu’elle concerne Boulogne Billancourt et les communes voisines. Ce projet sur l’Ile Seguin va aggraver la situation de Boulogne-Billancourt qui souffre depuis longtemps de l’engorgement routier à cause de la densité de résidents et des actifs venant y travailler et du fait que c’est une commune de transit intense entre Paris et la banlieue.
Le fait d’implanter à la fois des bureaux et des commerces n’est pas adapté à la localisation sur une île ; Il complexifie la situation en attirant quotidiennement les personnes qui y travaillent ou qui s’adonnent à des activités de loisirs. Cette population variera au cours de la journée et va immanquablement complexifier les transports (l’accès routier ne se fera que par le pont Renault) et les lieux de stationnement (voitures, autocars, vélos, 2 roues motorisées). On peut s’attendre à ce que l’île accueille jour et nuit une quinzaine de milliers de travailleurs (souvent non Boulonnais), des visiteurs, touristes séjournant en hôtel sur l’ile, des spectateurs pour les 16 salles de cinéma et 6000 auditeurs pour les concerts. Le projet des voies de desserte vers les rives de Boulogne (RD 1) et de Meudon (RD7) avec un partage entre voitures, autocars, vélos, 2 roues motorisées, et piétons n’est pas compatible avec les flux attendus.
Ce projet a aussi un impact sur la future requalification de la RD 1, actuellement en 2×1 voies mais qui doit passer en 2×2 voies. Ce projet de 2×2 voies qui n’a aucune continuité avec la voie sur berges parisienne doit être abandonné au profit d’une voie de circulation automobile apaisée, accompagnée de circulations douces et sécurisées, ombragée, verte, entourée de jardins en pleine terre donnant sur la Seine. La RD1 est le seul réservoir de végétation possible dans ce quartier qui sera violemment meurtri par un urbanisme débridé. L’abandon de la 2×2 voies (RD1) est absolument nécessaire pour la respiration, le rafraîchissement et l’apaisement acoustique du quartier en compensation de la densification prévue.
On peut s’inquiéter des embouteillages aux sorties de parking aux heures de bureaux. Remplir et vider un parking de 700 voitures + des motos (78, nombre probablement sous-estimé) ne se fait pas facilement, d’autant plus que le parking public de 600 places sur la rive sort au même endroit sur le cours de l’Ile Seguin. Ce projet traite la question du stationnement de 1600 vélos pour la zone bureaux, mais oublie les visiteurs qui devraient y être attirés par des infrastructures adéquates, à la fois sur l’île et sur les rives. Le trafic automobile entre l’île et les rives côté Boulogne notamment avec la future RD1, ainsi qu’avec le parking VINCI ne semble pas avoir été traité. Généralement, le projet qui fait trop de place à des espaces minéralisés, n’est pas attractif pour les déplacements piétons.

Enfin, il est surprenant que l’accessibilité par voie fluviale n’ait pas été traitée.

Conclusion d’Environnement 92
Ce projet immobilier sur la partie centrale de l’île Seguin n’est pas en phase avec les besoins du marché de bureaux ni avec les ambitions du moment en matière de lutte contre le réchauffement climatique et encore moins contre la perte de biodiversité. Le projet est en décalage avec le besoin de faire croître les espaces végétalisés en zone urbaine dense pour compenser les effets d’ilots de chaleur et pour rendre la commune plus vivable pour ses habitants et les actifs qui y travaillent. L’avis de l’autorité environnementale montre aussi des insuffisances sur plusieurs sujets critiques environnementaux auxquels le maître d’ouvrage et l’aménageur n’ont pas répondu de manière convaincante. Le fait de vouloir, dans un petit espace de 11 hectares, faire cohabiter activités, loisirs de masse, est totalement irréaliste. Ce projet représente une occasion ratée d’une valeur ajoutée réelle pour les Boulonnais, à savoir leur fournir un vrai espace de nature. Environnement 92 donne un avis extrêmement défavorable à ce projet surdimensionné, inadapté aux besoins des Boulonnais et en retard par rapport à l’urgence climatique.

Le 28 Août 2020
La présidente d’Environnement 92
IRENE NENNER Officier de la Légion d’Honneur

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