Avis sur l’aménagement de la Bassée

  • Post category:Nos Avis

Avis d’Environnement 92, fédération des associations de protection de l’environnement des Hauts de Seine, dans le cadre de l’enquête publique portant sur le projet de création d’un casier inondable sur le territoire de La Bassée par l’EPTB « Seine Grands Lacs »

Environnement 92 représente près de 45 associations de protection des Hauts de Seine. Notre territoire est traversé par la Seine et 18 communes sur les 36 du département sont riveraines du fleuve, avec près de 30 km de berges.

Situation des Hauts de Seine en cas de crue type 1910

Tant le département que les services préfectoraux ont dressé un panorama des effets d’une telle crue sur la vie de nos concitoyens. Le département est inondé dès que la crue atteint les 7 mètres au pont d’Austerlitz. 20 % du territoire est sous l’eau, 700 000 personnes vivant de part et d’autre dans les 18 communes sont touchées ainsi que 500 000 emplois. Les infrastructures de transport : Bus, Tram T2, métros ligne 12, 9, 2 et la future ligne 15 seront immobilisées pour une période longue. La géographe Magali Reghezza-Zitt a publié un livre en 2012 « Paris coule-t-il ? » où elle montre les forts impacts négatifs d’une crue de type 1910 sur nos cités…à titre d’exemple, il faudrait 3 ans à la RATP pour remettre en service convenablement son réseau de métro et tram.
Il est donc important de rechercher les aménagements urbains et ruraux qui permettraient d’atténuer une telle inondation.
Environnement 92 suit attentivement les projets d’aménagements urbains en bords de seine et avec ses associations adhérentes milite fortement pour que l’urbanisation en bords de seine soit la plus réduite possible. Nombre de municipalités passent outre en construisant de nombreux logements dans la zone inondable définie par le PPRI et le PAPI.
Outre les Hauts de Seine, ce sont toutes les communes des départements traversés par le fleuve qui sont riveraines et potentiellement susceptibles d’être inondées qui sont concernées par l’aménagement de la Bassée.

La Bassée

La plaine alluviale de La Bassée se situe à 90 km au Sud Est de Paris sur une superficie 24 000 hectares entre Romilly sur Seine dans l’Aube et Montereau-Fault-Yonne en Seine et Marne. Cette zone a dans sa plus grande extension, une longueur d’environ 140 km pour une largeur pouvant atteindre 4 km et davantage à la confluence Seine-Yonne. La Bassée est la zone humide la plus importante de la région Ile de France.
Cet espace de plaine alluviale remarquable a servi pendant des décennies à réguler les crues de la Seine avant son arrivée dans Paris. En effet, à l’Ouest de cette grande plaine alluviale, se situe la ville de Montereau –Fault-Yonne où a lieu la confluence de l’Yonne et de la Seine. Le niveau de la Seine à Paris dépend des débits de l’Yonne et de la Seine. La zone d’expansion naturelle de la Bassée est donc une zone tampon pour abaisser le niveau de la Seine avant son arrivée à Montereau et permet d’abaisser son niveau après la confluence et avant son arrivée à Paris.

Une hydrologie remarquable

La vallée de La Bassée se caractérise par la présence de deux nappes aquifères de grande envergure. La première dite « alluviale » se situe à très faible profondeur. Elle permet des échanges avec la Seine et le chevelu de noues, ruisseaux ou rivières ainsi qu’avec les surfaces d’eau crées par les gravières, surtout dans la partie aval de la plaine alluviale. En profondeur se situe la nappe Albienne sous la craie sénonienne qui s’étend sous les formations tertiaires au centre de l’Île-de-France à une profondeur de 150 à 250 m et apparaît à l’affleurement au sud-est et nord-ouest de l’Ile-de-France, dans la vallée de la Seine et au nord, dans la vallée de l’Oise. Dans les zones d’affleurement, la craie est fissurée et très perméable et donc des échanges importants sont possibles avec la nappe alluviale. Le complexe craie-alluvions de la Bassée, qui reste peu exploité, offre ainsi une réserve d’eau potable considérable. Cette nappe est la réserve d’eau stratégique de la région Ile de France. Les aménagements antérieurs pour la mise à grand gabarit de la Seine à l’aval et Bray sur Seine (rectification des méandres, creusement du lit mineur) lui ont fait perdre une partie de ses qualités de régulation des crues du fleuve. Les futurs aménagements, 10 casiers réservoirs d’eau pour environ 50 millions de m3 et la canalisation de la Seine après Bray sur Seine vont lui faire perdre toutes ses capacités à retenir l’eau naturellement. Les évaluations de cette expansion naturelle des crues vont bien au-delà des aménagements bétonnés prévus puisqu’elles atteindraient environ 90 millions de m3.

La Bassée, une zone de biodiversité remarquable

La plaine alluviale de La Bassée est considérée comme ayant une importance considérable en matière de conservation de la biodiversité. Elle est inscrite dans une ZNIEFF de type 2 (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique) et possède de nombreuses ZNIEFF de type 1. Elle est par ailleurs concernée par deux directives européennes, la Directive 0iseaux (1980) et la Directive Habitats (1992, Natura 2000), l’ensemble du territoire étant classé en Zone de Protection Spéciale et Zone Spéciale de Conservation.

Emplacement des zones réglementées dans la plaine alluviale de La Bassée

Aspect règlementaire de la procédure d’enquête

Environnement 92 trouve inopportun et quasi anti démocratique d’organiser une enquête publique sur un sujet aussi important en une période de départ en vacances et dans la continuité d’une pandémie virale importante dont on ne connait pas l’issue. Outre cela, il avait été indiqué qu’il n’y aurait pas d’enquête publique majeure dans cette période.
Le projet ne traite que d’un « casier pilote » alors qu’il fait partie d’un ensemble plus vaste de 10 casiers et de la canalisation de la Seine entre Bray sur seine et Nogent sur Seine (élimination des boucles et recreusement). Une telle segmentation est contraire au droit qui indique que les projets comportant plusieurs phases doivent être évalués en totalité. N’ayant pas été évalué ainsi ce qui est contraire à l’article R122-5 du Code de l’environnement, il est fort probable que l’instance administrative en tiendra compte lorsqu’elle sera saisie.
Enfin, devant l’ampleur du projet la procédure ERC (éviter, réduire, compenser) aurait dû être suivie et un projet alternatif présenté dans le projet. Ce projet ne figure pas dans l’enquête publique. En zone urbaine dense, un projet plus modeste comme l’élargissement d’une route départementale en bords de Seine fait l’objet d’études de variantes (RD7 dans les Hauts de Seine). Là aussi la juridiction administrative relèvera le souci juridique.

Utilité publique du projet

Si la protection contre les risques d’inondation des zones densément peuplées est importante tout en sachant qu’il y a près d’un million de franciliens qui vivent en zones inondables, il est regrettable qu’aucune solution alternative n’ait été proposée lors de cette concertation publique. Et cela d’autant plus que la canalisation de la Seine va accroître les risques d’inondation en augmentant la vitesse d’écoulement de la nappe et en limitant l’expansion naturelle des crues par débordement sur les terrains riverains.
Ces projets paradoxalement mettront en oeuvre deux solutions l’une visant à ralentir la crue de Seine, les casiers, et l’autre accélérant la vitesse d’écoulement ce qui accroît le risque d’inondation.
C’est cette contradiction qui devrait amener les responsables de l’aménagement de la Seine à prendre en compte un traitement naturel et écologique de ce fleuve en correspondance avec son dangereux affluent l’Yonne.
L’utilité publique du projet est difficile à caractériser avec cette contradiction interne.

Le projet en lui-même

Environnement 92 rappelle que dès la cote 7 m le département des Hauts de Seine aura 20 % de son territoire sous l’eau et 700 000 habitants impactés ainsi que de nombreuses activités économiques et sociales arrêtées.

Impact du casier pilote sur la crue

Selon les concepteurs de ce projet, le casier pilote avec ses 10 millions de m3 d’eau n’écrêtera que 5 à 10 cm de la nappe. Les 10 casiers écrêteraient moins d’un mètre de la nappe. On voit bien ainsi que ce projet n’est pas dimensionné à la protection des populations. Par ailleurs, au lieu de choisir un mode de remplissage naturel via des barrages avec vannes vers les casiers, il a été prévu d’utiliser des stations de pompage il faudra de 3 à 4 jours pour remplir un casier.

L’aménagement de la Bassée

C’est un projet de BTP sans beaucoup d’imagination qui mettra en oeuvre des milliers de tonnes de béton mais aussi, aubaine du Grand Paris, l’utilisation de millions de tonnes des terres excavées du réseau souterrain du Grand Paris pour construire les digues et retenues.
On peut se demander si ce n’est pas à ce niveau qu’est le fond du projet…Trouver un exutoire valorisant aux déchets d’un projet pharaonique. Aucune évaluation des impacts et externalités négatives n’a été étudiée : coût total du béton (de la ressource à l’utilisation), coût total des déchets (de l’extraction au transport et à la mise en place), coût total du fonctionnement des casiers avec le coût réel du carburant, de la pollution de l’air et de l’eau ainsi que de l’entretien et nettoyage des casiers.
Il est aussi manifeste que ce projet détruira un écosystème remarquable. On oublie trop souvent que la biodiversité des espèces tant animales que végétales sont une des conditions de survie d’une espèce qui souhaite façonner la planète, l’homme. Le réchauffement climatique s’amplifie rapidement, une solution gravitaire d’expansion de crue aurait un impact plus important tant sur la retenue des eaux que sur la conservation voire le développement de la biodiversité.
Enfin, ce projet ne prend en compte les périodes d’étiage qui vont devenir beaucoup plus nombreuses que par le passé. Or, il n’y a rien de tels que des fleuves avec méandres, nappes phréatiques peu profondes, vallées plates et sols spongieux pour retenir l’eau. Tout ce que le projet de l’EPTB « Seine Grands Lacs » ne prend pas en compte. Les données du GIEC sont connues depuis près de 20 ans et s’affinent année après année. C’est une faute professionnelle que de l’avoir oublié.

Une sous-évaluation financière chronique des grands projets

Sans craindre de se tromper, il est fort probable que l’on s’apercevra comme dans le cas du Grand Paris Express, que les prévisions financières de départ doivent être majorées fortement. Dans le cas cité précédemment c’est un coefficient multiplicateur de près de trois par rapport à l’évaluation initiale.
Nous sommes en période de crise sociale, économique et environnementale comme jamais une nation moderne n’avait connu. Est-il nécessaire d’investir dans un projet dont l’utilité pratique est minime ?

Un projet alternatif oublié ou masqué, une expansion naturelle des crues

En 2015, une étude entreprise par le cabinet EGIS à la demande de Seine et Marne Environnement (dépendant du Conseil départemental de Seine et Marne) a été effectuée. Bien qu’incomplète parce qu’insuffisamment poussée, cette étude montre qu’un aménagement écologique de la Bassée permet une expansion naturelle et gravitaire d’un volume double de celui des dix casiers soit 90 millions de m3. Cette expansion dans une zone naturellement humide où s’effectue la recharge de nappes souterraines de faibles profondeur ou profonde, nappe de la craie ou une nappe de l’albien aurait un fort intérêt.
Il est incompréhensible que cette étude n’ait pas été poursuivie et présentée à l’enquête publique comme projet alternatif en accord avec la doctrine ERC.
Conclusions
Environnement 92 donne un avis totalement défavorable à ce projet qui ne vise pas à protéger les franciliens de la crue de la Seine et à retenir l’eau en période d’étiage mais à répandre les terres excavées du Grand Paris et à mettre en oeuvre une solution de BTP digne des siècles passés. « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » disait le moine Bacon au XIIIème siècle. On peut se demander si nous avons suffisamment évolué depuis ces temps anciens.

Chaville le 4 juillet 2020
La présidente d’Environnement 92
IRENE NENNER
Officier de la Légion d’Honneur

Télécharger l’article au format pdf